Le grand-père rouge de l’utopie
Référence
TitreLe grand-père rouge de l’utopie
AuteurRaphaël Sorin
Date2009-10-28
Mag (Nom)L’express
Mag (Réf.)N°2393
Mag (Page)0
Résumé
Petite biographie qui accompagne un récit des grands moments de sa vie jusqu'à sa mort en Bolivie.
Remarque
Un article écrit à l'occasion du trentième anniversaire de sa mort. Intéressant pour se rappeler quelques informations sur le Che.
Contenu
Le grand-père rouge de l’utopie

Figure emblématique de toutes les révolutions, « Che » Guevara est mort en Bolivie il y a près de trente ans. Deux livres le font revivre.
Raphaël Sorin


En Octobre, on célébrera le trentième anniversaire de la mort d’Ernesto Guevara, dit le Che. Le fameux portrait du guérillero héroïque, pris à la Havane en 1960 par Korda, figurera sur des millions de posters et de tee-shirts. Béret étoilé, cheveux au vent, l’air tourmenté, l’effigie du « commandant » réveillera peut-être de nouvelles ardeurs révolutionnaires. A leur façon deux hommes ont devancé l’événement : le soldat péruvien qui acheva d’une balle en pleine tête Nestor Cerpa, chef des preneurs d’otages de Lima ; et Laurent-Désiré Kabila, le rebelle congolais, futur maître du Zaïre, un furtif compagnon du Che lors de son équipée africaine.

Derrière la légende, il y eut aussi un personnage réel, mari et père, aventurier ou vagabond, un combattant intrépide que les biographes s’épuisèrent à suivre. Ils ont scruté ses photographies, écouté les témoins, lu ses ouvrages, glosé sur le moindre de ses discours. Sa vie, découpée en « stations » comme celle du Christ, les conduisit partout en Amérique Latine, en Asie, de Paris à Dar es-Salaam, jusqu’au rendez-vous ultime, en Bolivie. Des textes jusque-là inédits – Le journal de voyages (Austral) et L’année où nous étions nulle part (Métailié), récemment publiés – ont dû encourager les deux derniers, le romancier mexicain Paco Ignacio Taibo II, lyrique, engagé, et le journaliste Pierre Kalfon, désireux de faire mieux connaître ce « grand-père rouge de l’utopie ».

C’est d’abord un petit argentin, né en 1928. Sa famille descend de l’oligarchie bovine, avec, au XVIIIe siècle, un ancêtre vice-roi de la Nouvelle-Espagne et un autre émigrant irlandais. Ses parents, bohèmes, anticonformistes, appartiennent à la « gauche maté ». Opposants au péronisme, ils militent avec les adversaires de l’hitlérisme. Ils seront fiers de la « carrière » de leur fils. A 2ans, Ernesto subit sa première crise d’asthme, un mal dont il souffrira toute sa vie. Il dompte son corps et sa volonté, joue au football et au rugby. Fou de lectures, il dévore Jules Verne, Alexandre Dumas et, surtout, Jack London. Etudiant en médecine à Buenos Aires, il accomplit sur un vélomoteur bricolé un long voyage de 4000 kilomètres vers les provinces du Nord de l’Argentine. Il y découvre la misère. L’année suivante, à moto, en compagnie d’un ami, il se lance dans un périple plus ambitieux, admire le Machu Picchu, aborde l’Amazone, débarque à Caracas. Au cours de ce périple digne des errances de Kerouac et de Ginsberg, il rencontre un inconnu qui lui prédit une fin violente « le point tendu et la mâchoire serrée ». Un second voyage le conduit à la Paz, au bord de la révolution, et au Mexique. Beau garçon, sceptique, il va mûrir politiquement, en admirant les exploits de Pancho Villa et de Zapata. Un jour de juillet 1955, il fait la connaissance de Fidel Castro. Entre eux, c’est le coup de foudre.

Après l’échec de l’insurrection de 1956, les barbudos créent le foco (foyer) d’une guérilla prolongée. Combattant et médecin, le Che est nommé commandant par Fidel. La prise de Santa Clara, en décembre 1958, sonne le glas du régime. Les révolutionnaires entrent enfin dans la Havane. Le Che est responsable de l’épuration. Quelques centaines de criminels sont exécutés. Après la victoire, que faire de celui qui passe pour être « l’éminence rouge » de Castro ?

Tandis que se prépare la réforme agraire, il devient l’ambassadeur itinérant du nouveau pouvoir. Sa silhouette martiale paraît familière et son mythe grandit. Il fonde une agence de presse, Prensa Latina, qui recrute des écrivains comme Carlos Fuentes ou Gabriel Garcia Marquez. Elle sera la voix du tiers-monde, composé des peuples qui cherchent à échapper à l’hégémonie des 2 blocs. Ensuite il est bombardé président de la Banque Nationale, sans quitter sa tenue de guérillero, treillis vert olive, chemise ouverte, bottes de parachutistes mal lacées.

En août 1960, les Cubains nationalisent les domaines sucriers, dont l’United Fruit, les raffineries d’Esso et de Texaco. Malgré ses réserves à l’égard de la vieille garde communiste, le Che accepte l’apparition d’un nouvel ordre, structuré par les comités de défense de la révolution qui surveillent les faits et gestes des citoyens. Une tournée de deux mois dans cinq pays socialistes confirme son évolution ; Cuba peut devenir une vitrine du socialisme en Amérique Latine. L’échec du débarquement de la baie des cochons enflamme l’île. Nommé ministre de l’industrie, le Che a désormais une lourde responsabilité face à l’histoire.

La répression s’installe, frappant d’abord les « 3p » (pédérastes, prostitués, proxénètes), puis les intellectuels comme Virgilio Piñera. Un vieil ami argentin du Che, Masetti, tente une guérilla suicidaire au pays natal. La lecture de Fanon, un séjour à Alger, les divergences avec Fidel, tout cela pousse le rebelle insatisfait à tourner ses regards vers le continent africain. En avril 1965, grimé, muni de faux papiers, il passe par la Tanzanie pour rejoindre, avec quelques volontaires cubains, les maquis de l’ancien Congo Belge. L’équipée, digne de Tintin, est un désastre. Mis devant le fait accompli, les hommes de Mulele et de Kabila refusent l’aide qui leur est proposée. Le Che rentre à la Havane après un séjour à Prague. Il prophétise « l’heure des brasiers » et prépare un dernier coup, en Bolivie.

Le terrain choisi, le Chaco, au paysage aride, lui est hostile. Le PC local ne soutient pas l’initiative du commandant « Ramón ». Les Indiens, dépendant de l’armée, dénoncent la guérilla. « Tania », une argentino-allemande, pourrait être un agent des soviétiques. Régis Debray, venu en Bolivie comme « journaliste », est arrêté. Le piège se referme. Blessé, le Che est finalement exécuté. Mort, photographié, il ressemble au Christ de Mantegna. Castro, qui raconte que le visage de son ami ne cesse de hanter ses rêves, lui dresse un mausolée de paroles. Leurs désaccords politiques ? Effacés. Le vrai Ernesto Guevara, antipathique à certains, rieur parfois, dur pour lui-même, impitoyable ? Oublié. On nous propose le Saint-Just des temps modernes, un saint laïque qui enflamme toujours les cœurs et soulève les peuples en lutte.


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